Les limites administratives sous l'Ancien Régime, et leur apport aux recherches généalogiques (suite 1)
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Un peu d'histoire locale...
le 18/05/2020 à 06:49 Citer ce message
Par simplicité on partira de l'époque dite contemporaine, postérieure à la Révolution.
A) les circonscriptions administratives de base
Toutes les circonscriptions administratives françaises sans exception, ont vu leur ressort modifié depuis la Révolution. Il en est ainsi des limites des départements. On connaît la division du département de Rhône et Loire en deux, en 1793 ; on sait peut-être moins que le Tarn-et-Garonne a été créé en 1808 à partir de cinq départements : Montauban était, jusqu'en 1808, une sous-préfecture du Lot. La dernière modification en date est la création de deux départements corses en 1975. Au cours des XIXe et XXe siècles, plusieurs changements sont la conséquence des guerres : la création des Alpes-Maritimes, de la Savoie et de la Haute-Savoie (perdus en 1815, recréés en 1860 avec d'autres limites), le Territoire de Belfort et la Meurthe-et-Moselle (formés avec les communes restées françaises en 1918) ; le Haut-Rhin, le Bas-Rhin et la Moselle (reformés en 1918). Les recherches généalogiques de base, dans l'état civil, doivent naturellement prendre en compte ces changements.
Les cantons
La Révolution avait créé une circonscription pour l'exercice de la justice de proximité, qui devait se substituer aux justices inférieures seigneuriales. Ces « justices de paix » regroupaient plusieurs communes et leur ressort portait le nom de canton. La constitution de l'an III (1795) ayant prévu le regroupement des communes de moins de 5000 habitants en municipalités de canton, l'état civil (et particulièrement le registre des mariages), pendant quatre ans, a été tenu dans le cadre cantonal et non plus communal. A cette exception près, le canton n'est encore qu'une circonscription judiciaire, jusqu'à sa transformation en circonscription électorale en 1834.
En 1801-1802, le gouvernement du Consulat a demandé aux préfets de réduire le nombre de ces justices de paix, et de dresser la liste des communes qui dépendaient de chaque canton. Cette liste qui a fait l'objet d'un arrêté des consuls, publié au Bulletin des Lois, est le premier document officiel fixant la dénomination et la répartition des communes par canton, arrondissement et département. Par la suite, tous les changements ont l'objet d'un acte officiel et d'une publication au Bulletin des Lois puis au Journal officiel.
La commune, créée en 1790, est aujourd'hui la cellule de base de l'administration française. Il en sera question plus loin, mais on peut d'ores et déjà dire que la commune rurale est l'héritière directe de la paroisse ; la commune urbaine, elle, trouve plutôt son origine dans la ville de l'ancien Régime.
S'il lui est reproché, de façon récurrente, d'être figée dans un territoire jugé insuffisamment vaste à l'heure de la construction européenne (la plus petite commune française fait 400 m²... mais la plus grande 759 km ² !), c'est oublier que nos communes ont subi de très nombreuses modifications depuis la Révolution, tant pour leur territoire, leur dénomination, que pour le choix de leur chef-lieu. Les modifications vont le plus souvent dans le sens d'une réduction de leur nombre. Un cas exceptionnel peut être cité : la Seine-Maritime, de 1036 communes en 1790, parvient à 759 en 1848 ! Les départements du sud de la France sont bien moins touchés par ces réductions car les communes y sont déjà plus vastes et leur réseau est moins dense. Les modifications ont été particulièrement nombreuses entre 1790 et 1801, sans que les sources archivistiques permettent aisément de repérer ces modifications. Si la délimitation du territoire municipal a mis du temps à se fixer, c'est entre autres parce que les municipalités, en 1789, n'ont pas été définies à partir d'un territoire (1789 : « il y aura une municipalité en chaque ville, bourg, paroisse ou communauté de campagne »).
En 1801 encore, certaines communes étaient mentionnées par erreur deux fois dans les listes officielles, dans deux cantons ou deux départements différents ! Cette imprécision témoigne des difficultés rencontrées par les contemporains pour fixer les limites administratives. Après 1801 en revanche, comme cela a été dit plus haut, toutes les modulations ont dû faire l'objet d'un acte officiel, ce qui a permis très récemment à l’INED de publier un dictionnaire d'histoire administrative intitulé Communes d'hier, communes d'aujourd'hui. Les auteurs fournissent un CD-ROM qui permet des recherches, par département et par commune, sur les modifications (cessions, absorptions, transferts) survenues entre 1801 et 2001. De nombreux sites web associatifs ou de particuliers tentaient de dresser de telles listes : la publication de l'INED doit désormais être considérée comme la référence. Me référant à cette publication, je souhaite détailler quelques exemples :
Certaines communes sont de création récente, entraînant ainsi une modification du territoire d'une ou de plusieurs de leurs voisines. C'est le cas dans notre département pour Montceau-les-Mines, créée en 1856 à partir de terrains pris à Blanzy, Saint-Berain-sous-Sanvignes et Saint-Vallier. Une personne recensée à Montceau en 1861 doit être recherchée dans le dénombrement précédent, celui de 1856, dans l'une des trois communes d'origine en fonction de leur lieu d'habitation.
Inversement, certaines communes ont été supprimées et leur territoire rattaché à une autre. On pourrait penser qu'il s'agit des plus petites communes ; mais ce n'est pas toujours le cas : neuf communes chef-lieu de canton ont ainsi disparu en deux siècles. Fréquemment, elles ont été absorbées par la ville voisine, comme dans l'Ille-et-Vilaine : Saint-Servan a été rattaché à Saint-Malo en 1967. Une situation très exceptionnelle mérite d'être citée : la commune chef-lieu de canton Saint-Esprit a changé de département en 1857, quittant les Landes pour les Pyrénées-Atlantiques, et le chef-lieu du canton a été transféré à Saint-Martin-de-Seignanx.
Dans les cas de fusion, où trouver les registres d'état civil ? Ils ont été transférés au siège de la commune de rattachement avec, théoriquement, l'ensemble des archives. Par expérience on sait que, pour peu que le bâtiment de l'ancienne mairie n'ait pas été démoli ou totalement réaffecté, on pourra encore y retrouver des archives de la commune supprimée. En Saône-et-Loire, Saint-Vincent-les-Bragny et Bragny étaient deux communes qui avaient la particularité de ne disposer que d'un bâtiment communal, situé à la limite des deux entitées. Les deux pièces du rez-de-chaussée abritaient deux secrétaires de mairie et deux fonds d'archives ! Les communes ont fusionné en 1971.
Théoriquement, les communes portent le nom du village chef-lieu. Mais près d'une centaine de communes ont vu leur dénomination modifiée, souvent après que ce chef-lieu a été transféré d'un hameau à un autre : dans le Cantal, la commune de Moissac a pris le nom de Neussargues (nouveau chef-lieu) en 1872. Un tel changement de nom, une fois repéré, ne complique toutefois pas la recherche généalogique.
Dans le département de l'Aveyron, la situation administrative est restée longtemps très particulière : en 1790, la plupart des hameaux se sont érigés en communes. Le préfet nommé en 1800 s'est mis en tête de réduire des deux-tiers le nombre des communes de son ressort, arguant de la superficie réduite, des capacités financières également limitées et des difficultés à trouver autant de maires compétents : certaines communes ne comptaient que deux ou trois maisons, cinq à dix habitants ! Il a donc regroupé d'autorité les communes autour de « mairies » qui disposaient d'une administration municipale et organisé le recensement de 1806 par mairie. Mais le fonctionnaire s'est vite trouvé en butte à l'opposition des communes « regroupées » de force ; la commune de Melagues, rattachée à la commune de Fayet, faisait valoir que les citoyens étaient obligés de faire 8 à 9 heures de marche pour rejoindre la « maririe » de Fayet, les chemins qui y mènent bordant « d'affreux précipices ». L'administration centrale mit à son tour le préfet en demeure de rapporter son arrêté, illégal, car une loi de 1800 imposait une municipalité par commune, et déplorant l'absence absolue de cohérence entre les limites des circonscriptions administratives, judiciaires, fiscales, et spirituelles du département : une « mairie » pouvait ainsi compter des communes qui ressortissaient de cantons (justices de paix) différents ! Avec la levée des plans du cadastre, la complexité est apparue insurmontable : le directeur des contributions signalait qu'une certaine commune était en fait un domaine appartenant à une seule personne... Lentement, au prix d'innombrables échanges de parcelles, de négociations infinies, canton après canton, des arrêtés préfectoraux sont venus fusionner des communes. Il ne reste aujourd'hui en Aveyron que 304 communes sur plus de 500 en 1801.
D'autres anomalies ou cas surprenants peuvent être connus à titre anecdotique, mais n'ont pas vraiment d’incidence sur la recherche généalogique. C'est le cas des « enclaves » : en Haute-Corse, la commune de Moncale est totalement enclavée dans le territoire de Calenzana ; en Vendée, Talmont a été jusqu'en 1974 enclavée dans le territoire de Saint-Hilaire (aujourd'hui Talmont-Saint-Hilaire). De même certains chefs-lieux ont été transférés sans que ce transfert ne s'accompagne d'un changement de nom ; il existe encore près d'une cinquantaine de communes en France qui ne portent pas le nom de leur siège administratif, suite à un transfert : Miramas (Bouches-du-Rhône) a son siège au lieu-dit Constantine et Tignes (Savoie) au hameau des Boisses.
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