Les limites administratives sous l'Ancien Régime, et leur apport aux recherches généalogiques (suite 2)
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Un peu d'histoire locale
le 21/05/2020 à 14:30 Citer ce message
(suite)
B) XIXe- et XXe siècles : autres circonscriptions administratives
1 ) Les archives judiciaires sont peu utilisées par les généalogistes. Pourtant on y trouve certains types de documents extrêmement précieux pour enrichir un arbre : conseils de famille, tutelles, inventaires après décès, conciliations, déclarations de grossesse, certificats de vie... sans compter les procès. Les ressorts des circonscriptions judiciaires sont assez simples à comprendre, puisqu'ils recoupent dans les niveaux inférieurs (justices de paix, tribunaux d'instance), le découpage en cantons et arrondissements : ces circonscriptions ont en effet été définies d'abord à partir de l'administration judiciaire qui y avait son siège.
2) Dans les méandres de l'administration fiscale; les services du Cadastre et de l'enregistrement sont relativement connus des généalogistes. L'Enregistrement, héritier de l'administration du contrôle des actes sous l'ancien Régime, permet notamment de repérer des actes succession sans connaissance d'une date précise ou du nom du notaire, à condition d'avoir une idée du lieu de décès. On peut retenir, par facilité, que selon un principe établi en l'an VII, un bureau de l'Enregistrement devait exister dans chaque canton. Toutefois dans tous les départements, l'organisation territoriale de l'Enregistrement a connu de fréquentes réformes jusqu'à notre fin du XXe siècle :
- le ressort des bureaux a pu être modifié en partie, aux dépens d'un voisin, certaines communes dépendant d'un bureau, puis d'un autre ;
– certains petits bureaux ont été absorbés par de plus importants (fusions) ou à l'inverse certains bureaux divisés (démembrements). Ces mutations ont existé également sous l'Ancien Régime, à l'époque des bureaux du contrôle des actes : En Saône-et-Loire le bureau d'Albergement-Sainte-Colombe a fonctionné de 1708 à 1712 puis a été supprimé au profit de Lessard-en-Bresse ; Lessard a disparu à son tour vers 1750-1751 au profit de Mervans.
On comprend la nécessité de prêter attention à la généalogie... des bureaux, certaines communes ayant pu changer jusqu'à six fois de bureau de rattachement en deux siècles. Certains inventaires de la sous-série 3 Q , lorsqu'ils sont achevés, donnent la composition des bureaux au fil du temps et inversement, les rattachements successifs des communes ; c'est le cas de l'inventaire de l'Enregistrement de la Sarthe, disponible sur Internet. A défaut, il est utile, mais pas toujours suffisant, de consulter un annuaire administratif contemporain, disponible dans tous les services d'archives.
3) Les archives militaires. Sans s'arrêter à la géographie des «régions», l'échelon supérieur de l'organisation militaire, on signalera simplement que les bureaux de recrutement, au sein desquels a lieu l'incorporation et où sont rédigés les fameux registres matricules, sont plus ou moins constitués d'un ou plusieurs arrondissements administratifs. Toutefois, là encore, il n'y a pas coïncidence parfaite avec les limites des arrondissements civils. Par exemple, toujours en Saône-et-Loire, les hommes originaires de l'arrondissement de Charolles ont été immatriculés au bureau d'Autun jusqu'à 1900 puis, à partir de cette date, dans les bureaux d'Autun (mais pour le nord de l'arrondissement seulement) ou de Mâcon (pour le sud de l'arrondissement). Inversement, l'arrondissement de Mâcon, divisé entre les bureaux de Chalon et Mâcon jusqu'en 1900, est regroupé ensuite au bureau de Mâcon. Plus surprenant, trois cantons de l'arrondissement de Chalon sont enregistrés à Auxonne (Côte d'Or) avec le canton de Pierre de Bresse (arrdissement de Louhans). Les registres les concernant sont toutefois régulièrement rétrocédés par les Archives de Côte d'Or à celles de Saône-et-Loire. La situation de la Saône-et-Loire n'est pas une exception. Dans la Sarthe, les deux bureaux de recrutement sont le Mans (arrondissements de le Mans et la Flèche) et Mamers (arrondissements de Mamers et Saint-Calais). Mais trois cantons (Château du Loir, Ballons, Montfort) font exception et dépendent d'un bureau qui n'est pas leur arrondissement civil.
Conclusion : si l'on ne trouve pas un ascendant sur une table de registre matricule, il faut connaître non seulement son canton de naissance mais aussi le bureau de rattachement à la date de l'incorporation. En l'absence de précision disponible sur l'inventaire , il convient là encore de consulter un annuaire administratif.
Le problème des limites administratives aux XIXe et XXe siècles nécessite donc une certaine vigileance de la part du chercheur, mais il n'est pas insurmontable, en raison des outils de recherche existants, plus ou moins facilement disponibles, que sont les annuaires administratifs et les inventaires d'archives.
Sous l'Ancien Régime
Comme cela a été dit pour l'Enregistrement, on sait que les administrations civiles (fiscales, judiciaires, etc.) et religieuses n'ont pas été créées ex nihilo à la Révolution, mais qu'elles sont, dans une certaine mesure, les héritières d'organismes ou d'organisations assis sur des circonscriptions pré-existantes. Sous l'Ancien Régime, ces circonscriptions n'étaient pas figées ; au contraire, elles étaient toujours l'aboutissement, à un moment donné, d'un long processus de stratification, le résultat d'un ensemble de circonstances très variées - histoire familiale, rapports de force, éléments financiers, géographiques....
Faute d'organisation générale, ces différentes circonscriptions ne se juxtaposaient pas les unes aux autres, une imbrication qui était admise par les contemporains, mais qui a fait l'objet de critiques bien perceptibles dans les cahiers de doléances de 1789. Le besoin de disposer de divisions simples et uniformes pour administrer la France était une évidence pour les hommes des Lumières, qui se sont attaqués dès 1789 à la réorganisation territoriale. Pour le généalogiste et l'historien contemporain, la difficulté pour retrouver aujourd'hui les limites précises des différentes circonscriptions est aujourd'hui redoublée par l'absence de sources, les délimitations ne faisait pas l'objet d'une mise par écrit ou d'une cartographie, sauf en cas de contentieux.
Echelon de base : la paroisse, circonscription religieuse
Les quelque 40 000 paroisses françaises de la fin de l'Ancien Régime qui forment un mailliage serré, constituent à la fois l'échelon de base de l'organisation du territoire et le cadre d'une identité collective profondément ressentie, en raison de leur ancienneté, de la solidité de l'encadrement des fidèles par le clergé, et bien sûr de la place que tenait la religion dans la vie quotidienne.
Les recherches se poursuivent pour étudier l'origine de ce mailliage, la façon dont, du Moyen Age jusqu'encore au XVIIIe siècle, de nouvelles paroisses ont été créées. On sait aujourd'hui que jusqu'au XIe siècle (réforme grégorienne), les seigneurs laïcs et les établissements religieux ont fondé de nombreuses paroisses en finançant la construction d'une église, mais que les évêques s'en sont ensuite réservé l'exclusivité. Au XIIIe siècle, l'essentiel du réseau paroissial était en place, mais dans les derniers siècles de l'Ancien Régime, la distance de l'église paroissiale, ou plus exactement le délai pour y accéder, était encore un argument qui pouvait justifier la création d'une nouvelle paroisse par « dismembration » d'autres, tout comme l'augmentation notable de la population. Ainsi que l'exprime Michel Guillemain , l'organisation écclésiastique répond donc sous l'Ancien Régime à ce qu'il appelle une « logique de service ». Le diocèse de Besançon comptait par exemple 660 paroisses au début du XVIIe siècle et plus de 800 au XVIIIe, les régions dans lesquelles la taille des paroisses était réduite n'ayant pas été concernées par ce phénomène
Les généalogistes sont directement concernés par cette question de la délimitation des paroisses, puisque leurs recherches les mènent constamment dans les registres paroissiaux. Tout chrétien, dès sa naissance, se voit reconnu comme membre d'une paroisse par l'inscription sur un registre du sacrement de baptême reçu du ministre du culte. Aussi l'Eglise a-t-elle senti comme indispensable, notamment à partir du Concile de Trente, de délimiter de manière stable la portion de territoire de chaque paroisse, sur lequel un curé a compétence. Cette délimitation revêtait également une importance réelle pour le décimateur et pour le curé, qui percevait quelques revenus sur le territoire de sa paroisse. La place de la religion dans la France de l'Ancien Régime, le caractère structurant de cette organisation, son inscription dans le quotidien des gens, explique qu'à l'exception des villes (dont la limite était physiquement présente, matérialisée par des remparts), la paroisse soit devenue à la fois le territoire sur lequel était levé l'impôt, celui dans lequel les habitants se sont constitués en communautés pour élaborer des décisions collectives, et enfin celui des communes à la Révolution.
En 1790, le territoire des paroisses a donc majoritairement été choisi pour délimiter les communes créées, le nom des paroisses a ordinairement été conservé pour identifier les communes, et le siège de la paroisse, centre religieux de l'ancienne communauté d'habitants, est théoriquement devenu le chef-lieu de la commune : le décret du 20 janvier 1790 place le siège de l'administration municipale « où est le clocher ». Cette transition facilite largement les recherches généalogiques au delà de la Révolution, comme chacun sait.
Il faut toutefois insister ici sur les exceptions, les difficultés auxquelles, s'il n'y prend pas garde, le généalogiste risque de se heurter.Certaines sont certainement connues de la plupart des chercheurs mais certains débutants peuvent se laisser surprendre...
Toutes les paroisses ne sont pas devenues communes à la Révolution. Dans ce cas, l'église qui a perdu le rang d'église paroissiale est devenue annexe ou succursale,ou encore a été désaffectée. Les cahiers paroissiaux ont été transférés à la mairie de la commune de rattachement ou laissés en place, selon les régions.
Certaines paroisses sont dites « mi-parties ». A cheval entre deux provinces, leur sort a été discuté en 1790, lorsque les limites des départements ont été plus ou moins fixées sur les limites des provinces. Le cas s'est présenté de manière particulièrement nette entre le Maine et la Normandie, à la limite des départements actuels de l'Orne et de la Mayenne. En 1790, il existait ainsi douze paroisses « mi-parties » qui dépendaient toutes de l'évêché du Mans mais étaient partagées entre la généralité d'Alencon et celle de Tours, entre le parlement de Paris et celui de Rouen, entre l'élection du Mans et de Mayenne. A la Révolution ces paroisses, en raison des limites administratives d'Ancien régime, ont toutes été partagées en deux communes portant le même nom, chacune dans un département. On parle alors de « communes mixtes ». Entre 1800 et 1830, les préfets qui ont voulu revendiquer les portions de territoire situées dans le département voisin avançaient l'argument de l'emplacement du clocher - le chef-lieu de l'ancienne paroisse, mais cet argument n'a pas prévalu systématiquement. Aujourd'hui subsiste une commune mixte : Vaucé.
Les annexes. Dans certaines régions comme la Bretagne, à côté des vastes « paroisses-cures » dirigées par un curé, existaient de très nombreuses annexes ou succursales, appelées « trèves », confiées à un recteur ou vicaire. Ces trèves disposaient de registres spécifiques. En Saône-et-Loire, quelques paroisses seulement (17 dans l'évêché d'Autun) disposaient sous l'Ancien Régime de deux églises, l'une étant l'annexe de l'autre. Cette situation résultait généralement de l'éloignement d'un village par rapport au bourg et à l'église paroissiale. Le curé, le plus souvent, faisait appel à un vicaire, qu'il devait rétribuer, pour desservir ce lieu de culte. L'entretien de cette seconde église posait de réels problèmes financiers aux paroissiens : à Igé, l'évêque visitant l'église annexe de Domange trouve la nef à ciel ouvert, la voûte au dessus de l'autel fendue...l'ensemble menace ruine ! Généralement, en Bourgogne, le curé ne rédigeait pas de registres particuliers pour les églises annexes, soit parce qu'elles ne servaient que pour la messe dominicale, soit par facilité de gestion. Il arrivait toutefois que le curé regroupe dans un cahier spécial tous les sacrements donnés aux habitants d'un village doté d'une annexe : c'est le cas pour Besanceuil, qui dépendait de Saint-Ythaire, près de Saint-Gengoux-le-National (actuelle Saône-et-Loire). A la Révolution, certains des villages annexes sont devenus des communes, particulièrement ceux qui faisaient l'objet d'une imposition séparée. En Bretagne, bien des annexes ou trèves ont attaché de l'importance à devenir communes à la Révolution.
Les hameaux alternatifs. Il s'agit de hameaux à la limite entre deux paroisses et dépendant alternativement de l'une de l'autre, exceptionnellement de trois paroisses différentes. Cette question n'a pas fait l'objet d'études, on ignore notamment quelle est la cause première de ces alternats, et à partir de quelle époque ils apparaissent. Il apparaît simplement qu'à distance à peu près équivalente de deux églises paroissiales, ils représentaient le résultat d'un compromis. Ils existent en Touraine, où on les appelle hameaux « tournants et virants ». Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le cas n'est pas exceptionnel, en Saône-et-Loire du moins. L'étude de Thérèse-Jean Schmitt sur le diocèse d'Autun permet de dénombrer 39 paroisses comprenant des villages alternatifs, dont certaines, comme Grandvaux et Poil, en comptent jusqu'à six. Dans l'archiprêtré de Charolles, presqu'une paroisse sur deux possède au moins un village alternatif. Les visites pastorales de Mgr de Lort de Sérignan de Valras, évêque de Mâcon, dans l'archeprêtré de Charlieu en 1745-1746 ont été publiées ; on y voit que l'évêque ou l'archiprêtre interrogeait systématiquement les curés sur les hameaux dépendant de la paroisse, et faisait préciser les hameaux alternatifs.
A Iguerande par exemple (p. 209) on répond à l'évêque qu'outre le bourg il y a quinze hameaux dont deux alternatifs : les Briret et la Grange des Coindris, tous deux alternatifs de Saint-Martin-du-Lac. Ces hameaux dépendent aujourd'hui d'Iguerande, et forment la limite avec Saint-Martin. A Saint-Maurice-les-Chateauneuf, deux hameaux voisins sur seize sont alternatifs de Saint-Laurent-en-Brionnais (p. 310) ; ils sont tous deux à près de 5 km du bourg.
Le rythme d'alternance semble être annuel mais le terme peut varier : Morlet, hameau alternatif des paroisses de Saisy et Tintry, changeait de paroisse de rattachement à Pâques. Les deux curés indiquaient cet alternat en précisant : « Morlet, cette présente année paroisse de .... ». Il faut donc aller chercher alternativement dans les registres paroissiaux de Saisy et de Tintry les actes concernant les habitants de Morlet.
A la Révolution, ces villages alternatifs ont, le plus souvent, été maintenus dans l'une des deux paroisses, comme cela a été le cas pour les villages alternatifs d'Iguerande et Saint-Maurice, mais il est aussi arrivé qu'on les partage entre les deux paroisses, comme Quintaine, un hameau situé entre Viré et Clessé : la limite entre les deux communes passe au milieu du hameau de Quintaine selon une ligne nord-sud. Pour la Saône-et-Loire actuelle, certains hameaux alternatifs sont signalés dans l'Etat du duché de Bourgogne (1780), mais la liste est bien incomplète. Le dictionnaire toponymique de Jean Rigault en signale également.
(à suivre)
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