Les limites administratives sous l'Ancien Régime, et leur apport aux recherches généalogiques (suite 3 et fin)

  • Un peu d'histoire
    Un peu d'histoire

    le 23/05/2020 à 08:11 Citer ce message

    (suite)

    La paroisse, circonscription fiscale.
    Le cadre stable que représentaient les paroisses a été utilisé à partir du XIVe siècle par le roi et les grands féodaux pour asseoir les prélèvements fiscaux et lever les impôts. De circonscription purement religieuse, la paroisse est donc devenue également une circonscription administrative. Le fait que la dîme se payait déjà dans le ressort de la paroisse a eu influencer ce choix : aussi les rôles de feux, c'est à dire la liste de tous les chefs de feu contribuant à l'impôt direct avec éventuellement leur quote-part, sont-ils dressés par paroisse (appelée alors collecte, dans ce sens) à partir de la fin du Moyen Age.
    Les généalogistes aguerris, qui se risquent à la consultation de ces listes nominatives, doivent donc prêter attention à ce détail : la limite de la paroisse d'Ancien Régime, on le répête, n'est pas forcément celle de la commune actuelle. Qu'en était-il des hameaux alternatifs, dans quelle paroisse les habitants étaient-ils imposés ? La encore, les visites paroissiales de l'archiprêtré de Charlieu apportent quelques réponses. Dans bien des cas, les foyers résidant dans ces villages alternatifs payaient leur impôt avec l'une des deux paroisses et c'est d'ailleurs ce rattachement qui a été le plus souvent privilégié après la Révolution. Mais rien n'est simple sous l'Ancien Régime : Boyer et la Chenauderie, hameaux alternatifs de Saint-Maurice de Chateauneuf et Saint-Laurent-en-Brionnais, payent la taille une année avec Saint-Maurice, la seconde avec Saint-Laurent ! La liste des feux de ces deux paroisses sera donc alternativement accrue ou réduite des 80 communiants de ces hameaux (chiffre de 1745).Qu'on n'en déduise pas que ce système complexe était appliqué pour tous les impôts : pour le « dixième », les habitants de ces hameaux étaient considérés comme contribuables de Saint Maurice.
    A la Révolution, l'inscription sur un rôle d'imposition a été un critère de rattachement à une commune (loi du 4 mars 1790, art. 2 : « les communautés de campagne comprennent tout le territoire, tous les hameaux, toutes les maisons isolées dont les habitants sont cotisés sur les rôles d'imposition du chef-lieu »)

    La paroisse regroupe donc des hommes et des femmes unis dans leur quotidien : les cérémonies et sacrements religieux, les contributions annuelles. Dans les régions où a pu naître et se développer une communauté d'habitants avec des représentants, un budget, voire une maison commune, on comprend que le cadre paroissial a facilement pu servir de matrice à ces institutions communales.

    Autres subdivisions administratives

    Les administrations d'Ancien Régime n'étaient pas , comme aujourd'hui, dotées de compétences très spécialisées (les finances, la justice, la fiscalité...). Il est donc artificiel de distinguer, par exemple, les administrations financières des administrations judiciaires.

    Nous allons nous attarder sur les ressorts et les limites des bailliages, qui étaient des institutions principalement judiciaires, mais dont le cadre territorial servait également à asseoir les impôts. Au cours de recherches généalogiques, vous serez amenés à utiliser des archives bailliagères si vous rencontrez un procès ou si vous voulez consulter des visites de feux. Il faut considérer que le bailliage consituait un repère aussi important que le rattachement à une paroisse -mais à un niveau supérieur. J'en veux pour preuve la question que posait l'évêque de Mâcon aux communautés lors de ses visites pastorales : Combien y a-t-il de communiants, de quel bailliage et parlement et quel est le seigneur haut-justicier ? Rappelons que sous l'Ancien Régime, la justice civile et criminelle s'exerçait, comme aujourd'hui, à plusieurs niveaux. A l'échelon supérieur (en appel le plus souvent), les parlements. Ils sont au nombre de 13 en 1789, le plus vaste et le plus ancien étant le Parlement de Paris . Aux échelons intermédiaires, les bailliages (nord) et sénéchaussées (sud) puis les présidiaux, les prévôtés (ou vigueries, chatellenies, vicomtés). A l'échelon inférieur les justices seigneuriales (seigneurs civils ou ecclésiastiques), municipales...

    Le territoire des bailliages d'Ancien Régime apparaît relativement connu, car des instruments de recherche ont été réalisés à l'époque : almanachs provinciaux, « Etats » (comme celui du duché de Bourgogne, 1760-1783), et cartes au XVIIIe siècle. Ils donnent, les uns, la liste des communautés composant un bailliage, les autres, la limite géographique de ces bailliages. Dans l'ensemble, ces outils sont fiables. Mais une certaine imprécision règne dans les marges de ces territoires. Si une recherche porte sur une communauté située à la limite de plusieurs bailliages, il est préférable de ne pas se fier aux cartes administratives de l'époque, ni même aux almanachs. En effet les exemples de communautés à cheval sur deux bailliages ne sont pas rares : pour rester dans la Saône-et-Loire actuelle, la paroisse d'Iguerande, composée de quiinze villages plus le bourg, relevait pour un tiers du bailliage de Semur (avec appel au parlement de Dijon) et pour deux-tiers de la sénéchaussée de Lyon (avec appel au parlement de Paris). Actuellement, Iguerande est située dans le canton de Semur. Toujours à l'ouest de notre département, le tiers du bourg de Digoin, avec l’église, dépendait du bailliage de Semur. Les deux-tiers restants relevaient du comté de Charollais. Ces informations sont relativement faciles à trouver, mais ce qui l'est moins, c'est la limite précise entre les bailliages. Lorsque ces limites suivent une frontière naturelle, les choses en sont simplifiées : ainsi, Rigny-sur-Arroux est divisé entre les bailliages d’Autun et Charolles par l’Arroux (rive droite, Autun, rive gauche Charolles).

    L'échelon judiciaire inférieur, qui est la justice de premier ressort, pose infiniment plus de problèmes car l'absence d'outils statistiques ou cartographiques est quasiment totale et les limites des seigneuries ont été constament mouvantes. En effet, la seigneurie est un patrimoine, elle peut être augmentée ou diminuée, transférée, divisée...On ne peut donc espérer disposer, au mieux, qu'un état à un moment donné. Dire que les outils cartographiques sont inexistants n'est pas tout à fait exact : il arrive qu'on dispose de cartes-terriers ou de cartes annexées à des procès. Au fil des recherches historiques, des embryons de cartes se dressent mais elles sont rarement publiées et ne sont pas cataloguées. Michel Guillemain, déjà cité, qui travaille sur le Cher et l'Indre, a pu cartographier les limites de deux seigneuries, Chauteaumeillant et Chatelet, en 1673. Il a pu montrer que la limite passait dans la rue principale de Saint-Janvrin, le village était donc partagé entre les deux seigneuries...
    Ces limites seigneuriales ne recoupent pas celles des paroisses car les deux institutions ont des histoires complètement différentes. Il est très fréquent qu'une même paroisse dépende, au temporel, de plusieurs seigneurs ; ou inversement, qu'une seule seigneurie soit divisée au spirituel. Un exemple en Mâconnais : Quintaine a été succursale de Viré et Clessé alternativement ; à la fin du XVIIIe s. elle relevait au spirituel de Viré et au temporel de Clessé (le haut justicier était l'évêque de Mâcon) . La situation n'apparaît ni choquante, ni gênante, pour les gens à l'époque, si l'on en croit les visites pastorales où sont sereinement énumérés les différents justiciers. Mais pour le généalogiste qui souhaite repérer une décision de justice concernant un individu, il est important de connaêtre cette situation pour mener à bien ses recherches dans les fonds des différentes seigneuries.

    En guise de conclusion...

    Pour illustrer la complexité de la géographie historique d'Ancien Régime, les exemples pourraient être multipliés à l'infini. On serait tenté de dire qu'avant la Révolution, la règle constituait précisément l'exception ; mais ce serait réagir avec nos esprits classificateurs du XXIe siècle : mieux vaut se rappeler qu'à l'époque, ce qu'on appelle aujourd'hui « normalisation » n'a pas de sens. Il serait, par ailleurs, regrettable de renoncer à utiliser des sources historiques utiles faute de comprendre la géographie administrative de l'époque. L'histoire familiale est une plongée dans le passé : il faut donc accepter de faire abstration du cadre de pensée contemporain au profit des structures anciennes. Ceci implique de passer du temps pour comprendre l'organisation au temps des générations qui nous ont précédés ; mais si nos esprits contemporains appréhendent encore assez facilement le XIXe siècle, il n'en n'est pas de même pour l'Ancien Régime. La balle est certes, dans le camp des historiens professionnels et des archivistes : ces derniers particulièrement doivent avoir le réflexe de donner au public tous les éléments de compréhension utiles dans leurs inventaires – et de fait toutes les publications d'instruments de recherche, des dernières années, intègrent des cartes ou des tableaux synoptiques de géographie historique.
    Mais les généalogistes, eux aussi, ont leur rôle à jouer pour diffuser leurs connaissances en matière de géographie historique, puisqu'ils travaillent dans ce qu'on appelle la micro-histoire, l'histoire « pointue » : à l'échelle des hommes, des familles, des villages, ils sont bien placés pour déceler les subtilités de l'organisation administrative. Que ce soit sur Internet ou dans les revues associatives, de belles réalisations témoignent que ce mouvement est lancé : je veux parler ici du site de Gérard Baudoin sur le pays de Bannalec , qui cartographie avec grande précision les trèves, les paroisses, les bureaux du contrôle des actes, mais ne saurais oublier le Cercle généalogique de Saône-et-Loire, qui a réalisé la saisie informatique de l'Etat du duché de Bourgogne et la présente sur son site Internet .

Répondre à ce message